Elle avait fini par en devenir une, sans le vouloir, sans le chercher. Sa tête avait toujours ces airs de moineau désespéré, mais son corps lui, ressemblait désormais de trop près à celui d'une femme. Même si elle continuait de porter ces étranges robes en dentelles et autres vieilleries piquées dans l'armoire de sa grand-mère, elle avait lu assez de romans malsains où de vieux pervers s'éprenaient de jeunes filles, pour ne pas reconnaître cette lueur qu'elle voyait parfois dans les yeux des gens. Elle plaisait. Pas parce que contrairement à d'autres, son sex appeal était apparu à la disparition de ses boutons, mais parce que d'une certaine manière, elle dégageait cet aura de fragilité et de douceur qui était censé permettre à certains, de réaliser leurs fantasmes inavoués de preux chevaliers (EURK). Elle n'avait eu que de vagues échos de ce qui se disait sur elle dans les vestiaires des mecs,  mais ça avait été assez pour la convaincre que son lycée était (en partie) peuplé de bâtards fétichistes aux pulsions sordides.
Connie était la fille du fond de la classe. Celle qui avait rejoint le club de poésie de son plein gré et qui séchait les cours pour faire la sieste dans sa voiture. On l'avait vu traîner dans les rues de chicago, avec des gens pas nets, des adultes paumés pour la plupart.  Ce qui ne faisait pas d'elle le parfait cliché de la petite chose bizarroïde, résidait essentiellement dans le fait que malgré sa dégaine d'un autre temps et la centaine d'ados perturbés qui l'entouraient continuellement, elle n'était pas de celles qui se faisaient harceler. Ou du moins, elle ne l'était plus depuis qu'elle avait plongé la tête de Ivy Sullivan dans les chiottes.
« Ma fille n'est pas dingue ! Elle est jolie, et magique, et cool ! Elle écoute les beach boys en lisant Proust ! Et un jour elle écrira une thèse. Ou elle sera actrice. Ou ce qu'elle veut ! Mais la votre, je vous jure...elle a la semence du diable en elle !! Tapes m'en cinq, Connie! »  
Et elle lui avait tapé cinq, sans honte, sans gène devant un parterre de parents d'élèves tous plus indignés les uns que les autres ; Si l'irlandaise (aka maman) lui avait appris quelque chose, c'était comment se foutre royalement de ce que les autres pouvaient penser d'elle.
Elle avait été élevée dans l'individualisme le plus poussé, nourrit des obsessions et des désillusions de deux idéalistes qui avaient échoués dans la conquête de leurs objectifs et dont, le plus grand accomplissement, se résumait par une maison avec jardin. Le rêve américain dans toute sa splendeurs. Ils lui avaient donné des règles bancales, ne l'avaient protégé de rien et l'avaient laissée, en toute conscience, apprendre la vie par elle-même. Ils avaient tué dans l’œuf la rêveuse qu'elle aurait du être pour en faire quelque chose de bien pire : Une fausse ingénue à tendance pragmatique.

« -Qu'est ce qu'elle a dit ?
-Qu'ici, je cite, elle se sentait poursuivie par un sentiment de ruine et de déchéance imminente et qu'elle avait besoin d'explorer ses possibilités.
-....Elle était défoncée ? Oh mon dieu, tu penses qu'ils l'ont droguée ?
-Non. Elle est bête, c'est tout. » Lâcha le polonais (aka papa), qui était trop fatigué, trop énervé et surtout, trop déçu pour continuer à tergiverser sur ces conneries.
Connie était partie. Comme ça, sans un au revoir, ni rien. Ça s'était passé juste après la remise de diplôme, le lendemain plus précisément. Jimmy Ramirez, qui quittait son domicile tous les matins à six heure tapante, l'avait vue ce jour là sortant de chez elle. Avec son sourire habituelle, elle l'avait salué poliment avant de se diriger vers une voiture garée un peu plus loin. Bien sur, il avait remarqué la valise qu'elle portait, mais, habitué aux excentricités de la jeune fille, il avait préféré s'abstenir de tout commentaire et n'avait pas juger la situation plus alarmante qu'elle n'y paraissait. Il lui avait une fallut une semaine pour prévenir les parents qui, entre-temps, avaient remué ciel et terre pour essayer de la retrouver, avant de comprendre que leur imbécile de fille avait simplement fugué avec un hypothétique petit-ami qu'elle n'avait même pas eu la décence de leur présenter.
«T'en fais pas. Ça va pas durer ces histoires. Quand elle verra la merde noire dans laquelle elle s'est fourrée, elle finira par rentrer. » Avait conclu le père Lesziski avec une lassitude extrême.
Et effectivement, quatre ans plus tard, elle avait fini par rentrer: Elle allait avoir vingt-et-un ans, n'avait pas écrit de thèse, n'était pas devenue actrice, et attendait un gosse.